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toute sa laideur ; avec cette dureté naïve qui semble dire : De quoi vous plaignez-vous ? n’êtes-vous pas maintenant inutile ?

Exempte de ces douleurs de l’âme, la vieille dupe s’endort dans l’enchantement de ses illusions. Tout ce qu’elle a cru voir a existé pour elle. Le flatteur était un ami ; le moqueur, un adorateur passionné ; l’héritier cupide, un parent désintéressé ; la confidente pensionnée, une sœur tendre et dévouée ; et cette foule de convives fidèles à son cuisinier, autant d’amateurs d’esprit, de bon goût, que le charme de sa conversation réunissait chaque jour. Sa dernière pensée est encore une duperie ; elle jouit en mourant des regrets qu’elle croit laisser ; elle se transporte au delà de la vie, et voit ses enfants, ses neveux, suivre à pas lents son cercueil en l’arrosant de larmes ; elle entend son éloge funèbre sortir de toutes les bouches ; elle a pitié du désespoir des malheureux qui lui survivent. Ah ! si la réalité se montrait tout à coup à ses yeux presque éteints ; si elle pouvait se traîner dans la chambre voisine, où ses héritiers, impatients de voir finir son agonie, marchandent son convoi, et contraignent son homme de confiance à leur remettre les clefs