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fît tant de plaisanteries amères sur l’amour qu’elle inspirait à M. d’Arthenay, elle n’avait pas le moindre soupçon de cet amour ; ses manières avec lui étaient simples et d’une franchise à déjouer tout projet d’intrigue ; mais depuis qu’elle se savait épiée, depuis que le mot le plus insignifiant, un regard, la démarche la plus innocente pouvait être interprétée d’une façon criminelle, elle éprouvait un trouble, une sorte de terreur qui lui donnait un air coupable, et elle se reprochait déjà ses craintes comme une faiblesse ; or, dès qu’une femme se fait un reproche injuste, elle est bien près de le mériter.

Si M. de Rochebelle, cédant tout naïvement à sa peur conjugale, avait éloigné M. d’Arthenay de chez lui ; s’il avait encouragé sa femme dans le dessein de ne plus se rencontrer avec le jeune séducteur, il est probable que, n’ayant pas occasion de le voir, madame de Rochebelle l’eût bientôt oublié ; mais on exigeait qu’elle le vît sans cesse dans le monde, qu’elle le reçût dans sa maison, qu’elle écoutât ses déclarations furtives qu’elle essuyât le feu de ses regards, et tout cela sans lui donner d’espoir. Le ciel devait punir un tel excès d’inconséquence.