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tant d’autres plaisirs, a besoin du mystère ; il faut en cacher la cause, en rire furtivement, et flatter le ridicule pour s’en amuser encore et longtemps. Que de soins, de cajoleries, naissent du puissant intérêt de se conserver un sujet de médisance et de gaieté ! Il n’est point de grand personnage, de grand talent, plus choyé que l’homme ridicule dont la manie doit occuper et divertir pendant ses soirées entières toute une réunion de moqueurs. Voyez comme on l’entoure ; c’est à qui l’exploitera, le mettra en valeur : chacun veut provoquer sa verve, seconder son effet ; on le questionne avec bienveillance, on lui fait mille agaceries pour lui soutirer une sottise ; et la prévention est telle en sa faveur qu’on lui compte souvent pour des saillies originales et piquantes les platitudes reçues, qui font ordinairement la base des conversations générales.

Vu des hauteurs de la philosophie, le ridicule est le lien le plus solide de tous ceux qui unissent les hommes : c’est la seule réciprocité constante, inaltérable, à l’abri des caprices du cœur et des faiblesses de l’esprit. Les exemples d’amitié héroïque que nous ont transmis les anciens ne sont rien en comparaison de l’attachement dévoué de