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succédaient autrefois dans la jolie petite ville d’E…, où deux troupes rivales faisaient les délices de la contrée.

La première de ces troupes bourgeoises, composée de l’élite des propriétaires, des châtelains, des rentiers du canton, visait à la perfection, ou plutôt à l’imitation des Molé, des Fleuri et des Contat ; c’était à qui minauderait le mieux une scène de Marivaux, à qui ferait mieux sentir l’ironie, la finesse des mots de Beaumarchais, le comique de Regnard, et quelquefois même le naturel de Molière ; mais tout en approchant le plus possible des talents des doubles de la Comédie française, l’amour-propre des chefs de la troupe n’était jamais satisfait. Le jeune premier se trouvait trop petit pour jouer à côté de l’amoureuse, dont la haute taille était un de ses droits au titre de belle femme ; celle-ci prétendait que la voix de l’autre n’étant pas en harmonie avec la sienne, l’obligeait à crier ; enfin plus on avait d’avantages à se montrer, moins on était content de son rôle. L’exactitude, la richesse des costumes, l’ensemble merveilleux du spectacle, rien ne parvenait à calmer cette inquiétude que la vanité d’un acteur peut seule comprendre.