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celui dont l’amour est à l’abri d’un moment de froideur ou d’infidélité ; celui que la possession de l’objet aimé rend chaque jour plus ardent, plus craintif de le perdre. Soins, peines, privations, tout est volupté pour cette âme brûlante, lorsqu’il s’agit de conserver son idole. Jamais l’amitié, la dévotion, la maternité, ne produisirent une pareille abnégation de soi-même. Le froid, la faim, la misère, l’humiliation, il les supporte sans se plaindre, heureux de souffrir pour ce qu’il aime. Semblable au grand-prêtre d’un dieu insatiable, il entasse sacrifice sur sacrifice, pour mieux se prouver à lui-même l’excès de son adoration ; du haut de ce culte fanatique, comme il regarde en pitié les plaisirs du monde, ces joies fugitives payées si cher et dont il ne reste qu’un double vide dans le cœur et dans la bourse ! Tout ce que la fierté peut donner de courage, il le trouve dans sa passion effrénée ; enfin, il ne lui manque, pour être le plus grand homme de son siècle, que de consacrer sa patience et son génie à l’intérêt général.

Pourtant cet homme, objet de la dérision de tous les temps, de tous les peuples, mis en scène par les Romains, retracé vivant par le pinceau sa-