je m’appliquai à le bien cacher, mais c’était prendre auprès de mon père une peine inutile. J’ignorais son talent à deviner les sentiments les mieux dissimulés, par la trace des impressions qu’on ne parvient jamais à déguiser complétement. La connaissance du caractère de M. de Montbreuse n’était pas à la portée d’un esprit de seize ans, et ce n’est qu’après avoir longtemps observé l’art qu’il employait à faire servir ses bonnes qualités et celles des autres à l’accomplissement de ce qu’il désirait, que je suis parvenue à m’expliquer ce caractère tel que je vais essayer de le peindre.
M. de Montbreuse avait si bien contracté l’habitude de réprimer les mouvements de son âme que sa pensée était impénétrable. On devinait sa bonté par une foule d’actions qui l’attestaient journellement, et sa malice par un sourire qu’accompagnait toujours une épigramme qu’on pouvait prendre à son gré pour une plaisanterie ou pour une vérité piquante. Généreux jusqu’à la prodigalité, on l’aurait accusé d’extravagance en ce genre, si ses dépenses personnelles ne l’avaient totalement justifié.