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par pure déférence pour le vrai ; l’horreur des choses convenues, des manières apprêtées, la faisait souvent tomber dans le bizarre. Enfin, on peut dire qu’elle n’avait d’autre affectation que celle du naturel, mais elle la poussait quelquefois jusqu’à l’inconvenance ; alors la société se révoltait, on portait plainte devant les grands parents : la coupable était longuement chapitrée, et se vengeait bientôt de l’ennui du sermon par le plaisir d’en mériter d’autres.

Élevée avec Mathilde, madame de Méran avait conservé sur elle cette espèce d’autorité que donnent, dans l’enfance, quelques années de plus. Cependant elle reconnaissait dans madame de Lisieux une raison plus solide, un esprit plus cultivé, supérieur en tout au sien ; mais un fond de timidité, dont le grand monde n’avait pu triompher, neutralisait parfois tous les avantages de la duchesse de Lisieux ; la malveillance d’une seule personne lui ôtait tout moyen de briller : injuste envers elle-même, sa modestie se rangeait aussitôt de l’avis des envieux qui niaient ses grâces, ses talents ; il lui fallait l’assurance d’être aimée, pour être parfaitement aimable.

Madame de Méran, moins craintive, opposait la malice à la méchanceté ; rien ne la déconcertait ; en repos avec sa conscience sur ce qui fait le fond d’une conduite honnête, peu lui importaient les apparences ; s’amuser était pour elle le but de la vie. Son mari, homme d’un esprit sec et froid, avait d’abord es-