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cria Léon, mais non, mon malheur l’a tuée… C’en est fait… je ne la reverrai plus.

À ces mots Théobald, le voyant tomber dans un accablement profond, essaya de l’en sortir en l’occupant d’une autre peine. Mais le récit des revers de son pays, et la présence même de Nadège, rien ne put le distraire de ses tristes pressentiments : tant il est vrai qu’il n’est point de secours contre les malheurs qu’on se reproche.

Les commandants russes, rassasiés de casse et d’eau-de-vie, donnèrent bientôt le signal du départ, et il fallut se séparer sans conserver l’espérance de se retrouver jamais. C’était un douloureux spectacle de voir ces hommes si intrépides sur le champ de bataille, succomber aux tourments de l’exil. Au désespoir qui les accablait, on présageait que la plupart de ces malheureux n’arriveraient pas à Tobolsk, et l’on soupirait en pensant que ceux-là n’étaient pas les plus à plaindre.

Depuis ce jour Léon, fuyant tous les regards, même ceux de son ami, sembla méditer quelque sombre projet. Théobald l’entendait se relever chaque nuit et marcher à grands pas dans sa chambre, comme s’il eût été agité par une fièvre ardente. Inquiet, il était venu plusieurs fois lui offrir ses soins, mais Léon les avait re-