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dit-elle, car tu n’as ni queue ni tête. » Toute la personne même de mademoiselle de Lavalette était celle d’une jolie brune piquante, avec des regards pleins de feu, plus faits encore pour exprimer l’ardeur ou la malice que la tendresse ; d’une charmante taille, qu’elle garda jusqu’à la fin, d’une taille et d’une tournure bien françaises. Mariée à un agent de change, M. Liottier, elle débuta dans le monde sous le Directoire ; elle a rendu à ravir l’impression de cette époque première dans plusieurs de ses romans, mais nulle part plus naturellement que dans les Malheurs d’un Amant heureux. Ce fut un moment de grande confusion et de désordre, mais aussi de sociabilité ; la joie d’être ensemble, le bonheur de se retrouver et de se prodiguer les uns aux autres, dominait tout. Un dîner chez madame Tallien, une soirée chez madame de Beauharnais, les Concerts-Feydeau, ces réunions d’alors avec leur mouvement et leur tourbillon, avec le masque et la physionomie des principaux personnages, revivaient jusqu’à la fin sous la plume et dans les récits de madame Gay. Bayle, le grand critique, a remarqué que nous avons tous une date favorite où nous revenons volontiers, et autour de laquelle se groupent de préférence nos fantaisies ou nos souvenirs. Cette date est d’ordinaire celle de notre jeunesse, de notre première ivresse et de nos premiers succès ; il se fait là au fond de nous-mêmes un mélange chéri, que rien plus tard n’égalera. La date favorite de madame Gay, quand elle y songeait le moins et qu’elle laissait faire à son imagination, était celle précisément qui répond à la fin du Directoire et au Consulat ; jeune personne sous le Directoire et femme sous l’Empire, voilà son vrai moment, et qui lui imprima son cachet et son caractère, en littérature comme en tout ; ne l’oublions pas.

Au milieu des mille choses qu’une jeune femme, lancée