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le trahira, et ce que me diront Lucie et Frédéric, m’apprendront, j’espère, tout ce que j’en veux savoir.

Vois, ma Juliette, comme on se trompe dans ses projets ; en me retirant ici, j’ai cru me soustraire aux soins fatigants qu’entraîne la société ; j’ai cru n’avoir plus à entendre parler ni d’ambition, de fraude, ni d’amour malheureux. Eh bien, mon amie, le monde est partout le même, il n’y a que la différence d’une miniature à un tableau. Cette femme, qui devait vivre dans la plus profonde solitude, qui ne devait s’occuper que de l’éducation de son enfant, la voilà déjà distraite par mille événements, et forcée d’y prendre part pour le bonheur de ceux qui l’intéressent. C’est ainsi que j’ai passé ma vie dans le temps où elle était embellie par la réunion de tout ce qui peut combler les désirs d’une âme tendre ; j’ai vu souvent ma félicité empoisonnée par l’aspect des malheurs dont mes amis étaient victimes ; je pleurais sur leur sort, sans prévoir que le mien serait un jour plus à plaindre ; je me disais seulement : ils seront aussi sensibles à mes peines que je le suis aux leurs, et cette idée me consolait d’avance. Tu sais, Juliette, à quel point je m’abusais, et si d’autres que toi ont été touchés de ma douleur. N’importe, ce triste souvenir ne m’empêchera point de servir encore des amis ingrats ; le ciel en me donnant une vé-