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croyant que la société peut seule m’empêcher de me livrer à ce qu’elle appelle mes idées noires, a décidé qu’on passerait la soirée chez moi. Cette attention me sera peut-être un peu fatiguante ; mais il y aurait trop de ridicule à s’y refuser, et j’ai appris de toi à ne désobliger personne.



VI


Est-il bien vrai, ma chère amie, que tu me défendes de parler de tout ce qui caractérise la passion de l’amour ; et cela parce que tu prétends que je ne l’ai jamais ressentie. Peux-tu me faire cette injure, toi qui as été si souvent à même de juger du sentiment qui m’unissait à Henri ? En existe-t-il de plus tendre ? As-tu jamais rencontré deux êtres qui vécussent dans un calme plus heureux ? Jamais un moment de querelle n’est venu altérer ce bonheur que je regretterai toute ma vie. Ses désirs étaient les miens, je ne souffrais que de ses peines, et j’aurais donné ma vie pour lui en épargner. Si ce n’est pas là de l’amour, je consens à ignorer toujours celui dont tu me parles, et je le laisse aux héroïnes de romans, comme un moyen d’excuser une grande partie des extravagances qu’on leur fait faire.