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avec émulation, avec philosophie, et les plus jolis vers qu’on a d’elle sont ceux qu’elle a faits sur le Bonheur d’être vieille.

Chez elle, me disent ceux qui ont eu l’honneur de la voir habituellement, elle était très-aimable, et plus que dans le monde : elle y avait tout son esprit, et de plus celui des personnes qu’elle recevait. Elle les faisait valoir avec une sorte de grâce familière et brusque, qui n’excluait pas un souvenir d’élégance.

Sa vanité n’était point pour elle ni pour ses ouvrages ; elle ne la mettait que dans le succès de ses proches, de ses entours ; quant à elle-même, qui avait tant produit, elle n’avait point d’amour-propre d’auteur : ce n’était qu’un amateur qui avait beaucoup écrit.

Le monde était pour elle un théâtre et comme un champ d’honneur dont elle ne pouvait se séparer ; elle était infatigable à causer, à veiller, à vouloir vivre. Un jour, ou plutôt une nuit, comme les bougies s’étaient plusieurs fois renouvelées et qu’elle sonnait pour en demander d’autres, le valet de chambre qui était à son service, familier comme les anciens domestiques, alla à la fenêtre, ouvrit brusquement les volets, et le soleil du matin entrant : « Vous voulez des lumières, dit-il, en voilà ! »

Dans ses dernières années, elle passait régulièrement une partie de la belle saison à Versailles ; elle s’y était fait une société et était parvenue à animer un coin de cette ville de grandeur mélancolique et de solitude. Elle y avait trouvé, il est vrai, de biens vifs et spirituels auxiliaires ; il suffit de nommer M. Émile Deschamps.

Ce petit nombre de traits qu’on pourrait multiplier font assez voir à quel point madame Sophie Gay était une personne de vigueur et de nature, une de celles qui payèrent le plus constamment leur écot d’esprit, argent comptant, à la société. Ce qu’il faut ajouter pour corri-