Page:Nichault - Laure d Estell.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrêter ; ce soupçon me fit frémir, mais je n’avais aucun moyen d’échapper à mon sort, et je me résignai à tout. Quels que soient les événements, me disais-je, ils ne sauraient augmenter mon malheur, il doit durer toujours, et je n’ai que l’espérance d’y succomber. Je m’abandonnais à cette triste pensée, quand vous êtes venue ranimer mon courage et me sauver des horreurs de la misère et du désespoir.

Ici Caroline se tut, et je restai plongée dans les réflexions que me fit naître son récit. Je contemplai cette malheureuse victime du fanatisme et de l’hypocrisie, et je me dis :

— Voilà le fruit de nos institutions ! cet homme contraint au célibat par une loi barbare, a commencé par violer son serment pour obéir à la nature ; et de ce premier crime est passé à un autre. Peut-être était-il né pour remplir saintement les devoirs d’époux et de père, et certainement il est moins coupable que ceux qui l’ont porté à embrasser un état, dont le premier devoir est de persuader aux autres ce dont on doute soi-même ; mais combien sont plus coupables encore ceux qu’aveugle une absurde crédulité, qui, s’imaginant qu’un jeune homme, par la seule raison qu’il est revêtu d’un pouvoir sacré, est à l’abri de toutes les faiblesses, lui confient ce qu’ils ont de plus cher, le repos et l’honneur de leur famille !