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garer ma raison. Après avoir passé une semaine dans les jeûnes et les prières, je vins un jour demander à l’abbé si tant de ferveur ne m’obtiendrait pas incessamment un bienfait du ciel ? À ma question je vis ses yeux briller de joie, il m’en fit plusieurs sur l’état de mon cœur et d’autres que je ne compris pas. Je lui peignais ce que j’éprouvai, quand tout-à-coup se jetant à mes pieds :

— C’en est trop, dit-il, ce Dieu que tu adores a consumé mon cœur de tout l’amour qui doit payer le tien, il nous ordonne d’être heureux.

La surprise, la crainte, un sentiment inconnu, m’ôtèrent l’usage de mes sens, et ce moment fut celui qui me précipita dans l’abime du désespoir… Je fus longtemps à ignorer mon malheur ; mais je ne sais quel instinct m’ayant portée à fuir l’abbé, j’en reçus une lettre qui me frappa aussitôt d’une affreuse lumière. Je restai plusieurs jours dans l’anéantissement ; à la fin m’apercevant d’un changement extraordinaire dans mon état, je lui écrivis que le ciel voulait punir son crime en en laissant un fruit, et je lui demandai de chercher un asile où je pusse cacher ma honte et mourir. Il ne me répondit que pour me proposer une nouvelle infamie. J’en frémis, il s’en aperçut ; et deux heures s’étaient écoulées depuis que j’avais reçu sa dernière lettre, quand on m’annonça son départ : vous savez ce que cette nou-