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souvenir de celui que deux mois avant je regardais comme un être adorable. Dès-lors tous mes jours s’écoulèrent dans le recueillement et la prière. L’abbé passait habituellement deux heures de la matinée avec moi, il me faisait de saintes lectures, auxquelles ma mère se lassa bientôt d’assister. Hélas ! pouvait-elle s’imaginer qu’un homme dont l’état et le caractère semblaient devoir inspirer le respect, dût être un jour la cause du désespoir de ma famille !

Ici Caroline s’arrêta pour laisser couler ses larmes ; mais reprenant bientôt :

L’abbé se voyant plus libre, dit-elle, me fit de nouveaux sermons, dans lesquels il me parla de l’amour qu’on devait porter à la divinité, comme d’une passion frénétique. Il me disait :

— Vous ne serez digne de goûter la félicité suprême qu’en adorant votre Dieu avec ivresse.

Alors il me peignait ce dieu rayonnant de gloire et de beauté, il m’en traçait une image enchanteresse et fixait l’époque de mon bonheur, au jour où sa divine bonté laisserait tomber sur moi un regard bienveillant. Ces discours embrasaient mon âme d’un feu que je croyais aussi pur que le ciel ; mon imagination exaltée se plaisait à contempler cet être idéal, dont les perfections surpassaient tout ce que la nature offre de plus aimable, et l’espoir de mériter ce regard bienfaisant m’enivrait au point d’é-