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m’être assise sur un banc et avoir mis ma fille sur mes genoux, je lui ai dit :

— Te rappelles-tu, mon Emma, comme il te caressait ? Hélas ! tu aurais fait le bonheur de sa vie !…

— Ah ! je m’en souviens, a-t-elle répondu, et j’ai bien du chagrin qu’il ait mal au bras.

Ces mots ont fait battre mon cœur : je n’ai pas eu la force de la détromper ; et après l’avoir doucement éloignée de moi pour lui cacher mes larmes ; malheureureux Henri ! me suis-je écriée, ta mémoire est-elle donc effacée dans l’âme de tout ce que tu as chéri ? Le même qui t’enlève le cœur de ton épouse, t’arrache aussi au souvenir de ton enfant ! ses caresses lui ont fait oublier les tiennes ! mais son enfance est son excuse ; à son âge, le présent est tout : on aime par reconnaissance, comme on oublie sans ingratitude, et moi seule je suis coupable !… Moi, qui n’ai plus à t’offrir que les regrets de l’amitié et les remords d’un cœur brûlant d’amour pour un autre !… C’est ainsi, mon amie que je mêlais son image à celle de mon époux ; et que, pénétrée des reproches que je m’adressais, je trouvais encore du charme à parler de ma faiblesse.

Depuis que je suis à Varannes je n’ai vu Lucie qu’une fois ; à peine m’a-t-elle dit un mot de son frère ; j’ai pris la résolution de ne pas aller la voir de