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temps avec elle ; d’ailleurs elle m’avait déjà dit plusieurs choses à ce sujet qui ressemblaient à des personnalités, et je craignis de trahir l’intérêt que j’y portais en prolongeant l’entretien. Perdant l’espoir de lui faire partager les inquiétudes que me cause l’état de Caroline, je me suis décidée à les confier à ma belle-mère. Je lui ai demandé si elle voulait que j’allasse déjeuner demain dans son appartement ; elle m’a répondu qu’elle aurait d’autant plus de plaisir à passer la matinée seule avec moi, qu’elle avait une chose importante à me communiquer. J’ignore ce que cela peut être, et je ne sais pourquoi j’en suis tourmentée. Ah ? ma Juliette, qu’il est douloureux de renfermer un secret qu’on rougirait d’avouer ! L’on souffre des efforts qu’on fait pour le cacher ! Tout inspire la crainte de l’avoir laissé deviner, et je ne sais lequel de ces deux supplices est le plus cruel.

« Vouloir oublier quelqu’un c’est y penser, dit Labruyère. » Qu’est-ce donc que d’être assez faible pour ne pouvoir même pas former cette résolution. Je le sens, Juliette, il me serait impossible d’écarter son souvenir de ma pensée. Hier encore, toute occupée de lui, je tentai de m’en distraire ; j’eus recours au seul moyen que j’imaginai devoir y parvenir : il faisait le plus beau temps du monde ; j’ai pris Emma par la main, et je l’ai conduite sur le tombeau de son père ; après