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Alors je lui citai l’histoire de cette pauvre Louise, qui, après avoir aimé trois ans l’amant que ses parents ne voulaient pas lui donner pour époux, fut se jeter dans la Loire, en apprenant qu’il allait en épouser une autre. J’ajoutai à ce trait beaucoup d’autres que tu connais aussi, et dont les journaux sont remplis, mais je ne parvins pas à la faire changer d’opinion ; elle s’obstina à croire qu’on se faisait passionné par ton, comme on suit une mode de la cour. J’avoue que cette manière de penser ne m’a pas fait excuser ses faiblesses. Est-il possible qu’une femme ose dire avec si peu de pudeur, que son cœur n’est entré pour rien dans toutes les inconséquences que l’amour lui a fait commettre ? Comment peut-on nier l’existence d’une passion qui s’étend sur toute la nature ! la seule qui, nous forçant à vivre dans une autre, détruit cet affreux sentiment d’égoïsme qui avilit l’humanité, et qui, élevant l’âme au-dessus d’elle-même, la rend capable des plus grandes pensées comme des plus grandes actions ; celle enfin qui fit de Périclès un grand politique, et de Pétrarque un poëte ! Mais que peuvent ces exemples sur un cœur aussi froid que celui de madame de Gercourt ? Elle aime mieux supposer que le monde entier s’abuse depuis des milliers d’années sur l’existence d’un sentiment, que de convenir qu’elle en soit incapable. Cette réflexion m’a empoché de discuter plus long-