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— Pourquoi ne procurer ce plaisir qu’à M. Bomard, dit Lucie, je réclame contre cette injustice, et je vais, sans vous consulter, faire descendre la musique et la harpe, pour vous apprendre à vouloir nous jouer un mauvais tour.

En disant ces mots, elle sonna, et un moment après on apporta ce qu’elle avait demandé. Je ne saurais te peindre à quel point je tremblais ; un cercle de cent personnes ne m’aurait pas inspiré plus de timidité ; cependant je n’hésitai pas à exécuter différents morceaux italiens qui plurent infiniment à Lucie et à son frère ; mais le bon curé m’avoua franchement qu’une scène de Gluk ou de Sacchini lui serait encore plus agréable ; alors ma main étant tombée sur la partition d’Armide, je choisis assez maladroitement le dernier récitatif qui commence par ces paroles : « Non jamais de l’amour tu n’as senti le charme. » Le rapport qu’elles avaient avec ma situation, la beauté de cette harmonie imitative, et l’enthousiasme que j’éprouve chaque fois que je lis ces chefs-d’œuvre de déclamation, m’entraînèrent si loin, qu’oubliant tout ce qui m’avait d’abord inspiré quelque frayeur, je chantai ce morceau avec toute l’expression d’une âme déchirée par la douleur de se voir faiblement aimée, et par le désespoir d’être abandonnée de celui qu’elle adore. Sir James paraissait ému en m’écoutant, il me dit quand j’eus fini :