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contente de moi, je ne l’étais de personne. J’ai fait dire à Lucie que je ne descendrais pas souper, et j’ai passé une partie de la nuit à lire, ou pour mieux dire, à feuilleter un livre, car je ne me rappelle pas un mot de ce qu’il contenait. Je ne me reconnais plus, Juliette. Tout m’ennuie ou m’afflige, les arts que je cultivais avec tant de plaisir n’ont plus aucun charme pour moi ; sans le portrait de Lucie j’aurais déjà abandonné la peinture, la musique m’émeut au point de n’en pouvoir faire un quart d’heure sans pleurer, je change vingt fois de livre dans une matinée ; ces poëtes italiens dont l’imagination brillante me transportait en idée dans ces palais enchantés, que la magie élève au héros et à la beauté qu’il adore, ne me paraissent plus qu’emphatiques ; nos romans me semblent insipides, et nos auteurs sérieux, je ne les comprends plus ; il faut, pour les entendre, les suivre attentivement dans leur marche méthodique, les commenter souvent et ne pas perdre une seule de leurs comparaisons. Ce travail m’est devenu impossible, et je n’ai guère d’application que pour traduire quelques ouvrages anglais dont la mélancolie s’accorde avec la mienne ; jamais je ne me suis vue dans cet état de langueur, dans ce vague où nagent mes pensées, sans oser se fixer sur aucun objet. Dans le temps où le plus grand malheur me livra au désespoir, tu le sais, ma Juliette, je souffrais horriblement,