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Cette joie, mêlée aux craintes, aux reproches, aux larmes, on en pouvait lire les effets sur le front pâle et les yeux encore rouges de madame de la Tournelle ; aussi s’excusa-t-elle de ne pouvoir descendre dîner avec tout le monde.

Le dîner de ces temps-là ressemblait beaucoup aux déjeuners du nôtre ; on pouvait y manquer sans inconvenance : il n’en était pas de même du souper prié. C’était de de tous les plaisirs en usage le plus solennel, et l’on ne pouvait s’en dispenser qu’en donnant de bonnes raisons. Dès le matin, le son du cor annonça la présence du roi dans le bois de Vincennes. Quel retentissement ces airs de chasse eurent dans le château de Plaisance !

— Voilà un bruit qui me fait grand’peur pour notre gageure, dit madame de Flavacourt.

— Cela ne prouve rien, ma chère amie, répond madame de Brancas. Le roi a chassé bien des fois à Vincennes sans entrer ici.

— N’importe, dit M. de Chavigny, si l’on voulait nie tenir quitte pour moitié ?…

— Non, dit M. Duverney, vous perdrez tout ; et je vais à l’instant même m’assurer de votre défaite.

En disant ces mots, il se leva pour monter à cheval et rejoindre la chasse.

Il rencontra dans la cour du château une partie des musiciens de l’Opéra qui venaient répéter d’avance les morceaux qu’on devait exécuter le soir. Un avait disposé dans différents endroits des orchestres invisibles. Les lustres étaient cachés sous des touffes de fleurs, si bien que la lumière et l’harmonie devaient frapper les sens comme venant du ciel.

Pendant que chacun se préparait ou se parait pour la fête du soir, madame de la Tournelle, frappée par le son du cor, par ce signal qui l’avertissait du plus redoutable bonheur, était tombée dans une rêverie exaltée qui tenait du délire.

— Ô mon Dieu ! s’écria-t-elle, ne permets pas que je succombe à cet amour fatal qui remplit ma pensée ; donne-moi la force de le combattre ; mais non, je le sens trop, il est ma vie, il ne doit finir qu’avec elle. Ce n’est pas l’éteindre que je veux, c’est le renfermer dans mon cœur.