qui venait de s’asseoir derrière le canapé où se trouvait madame de la Tournelle, et qui, alarmé du trouble où il la voyait, cherchait à l’empêcher de trahir sa pensée ; mais qu’elle était enivrante et cruelle la pensée qui l’agitait ! qu’il y avait de terreur et de charme à se voir ainsi poursuivie par celui au-devant de qui tant de femmes se précipitaient, à le voir manquer à toutes les lois de l’étiquette pour se trouver un moment près d’elle ! que de séductions réunies !
Mais, passant bientôt du délire à la raison, madame de la Tournelle regarda cette démarche comme étant impossible. Les rois faisaient rarement un si grand honneur à un particulier ; et bien que M. Duverney fût presque ministre, bien que les serres du château de Plaisance fussent reconnues supérieures à celles dont Louis XV venait d’enrichir le Jardin du roi, tous ces prétextes ne semblaient pas suffisants pour motiver une visite si extraordinaire.
— Il aura parlé de ce projet vaguement, pensa-t-elle, mais la réflexion l’arrêtera. Il sait trop bien ce qu’on dirait à la cour d’une telle démarche… Non, il ne viendra pas.
Toute à sa pensée, madame de la Tournelle prononça ces derniers mots à voix haute ; comme si elle eût été seule.
— Il viendra, n’en doutez pas, reprit M. Duverney.
— Et moi je parie contre, dit madame de Brancas.
— Moi aussi, dit M. de Chavigny ; voyons, établissons le pari.
— Soit, reprit madame de Brancas, le parti qui perdra donnera au gagnant un beau déjeuner de porcelaine.
— J’accepte avec plaisir, dit M. Duverney ; aussi bien on m’en a cassé un ces jours-ci auquel je tenais beaucoup ; c’est très-aimable à vous de vouloir le remplacer.
— Ah ! vous ne le tenez pas encore ; madame de la Tournelle est des nôtres, n’est-ce pas ? elle parie contre ?
— Sans doute, madame.
— Autrement ce serait voler, dit M. de Noailles bas à madame de la Tournelle.
— S’il parlait de venir, qu’est-ce que dirait, grand Dieu ! le vieux cardinal, reprit madame de Brancas.
— Bon ! il ne sait plus les choses que lorsqu’elles sont faites, dit M. de Noailles, et il faut bien qu’il en prenne son parti.