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vœux pour nous, ajouta le duc en présentant la main à madame de la Tournelle.

Et, comme il la voyait hésiter à l’accepter :

— Je m’engage, ajouta-t-il, à consacrer mon gain à votre protégée, à cette pauvre infirme que vous m’avez recommandée ce matin.

Alors madame de la Tournelle se leva pour s’approcher de la table de jeu ; M. de Richelieu la fit asseoir sur une chaise qui se trouvait entre lui et le roi.

— J’étais bien sûr de vous faire obéir au nom d’une bonne action, dit le duc. Puis, se tournant vers ceux qui tenaient la banque : Messieurs les banquiers, continua-t-il, traitez-nous charitablement, car nous jouons ce soir pour une pauvre mère infirme et ses quatre enfants. Vous devenez en ce moment la providence de toute cette malheureuse famille.

— Vouloir attendrir des banquiers de biribi ! dit le duc de Grammont, voilà une prétention singulière.

— Et que n’obtiendrait point madame ? dit le roi d’une voix si basse, qu’à peine madame de la Tournelle l’entendit.

— Si j’allais vous porter malheur, dit-elle en n’ayant l’air de ne parler qu’à M. de Richelieu, j’en serais inconsolable.

— Tranquillisez-vous, madame, reprit le roi, votre protégée ne jouera que sur les bons numéros.

En effet, à chaque coup gagnant, le râteau d’ivoire que tenait le roi amenait l’or devant madame de la Tournelle. L’infirme était censée ne pas jouer les coups perdants. La marquise voyait s’augmenter de moment en moment la fortune de la pauvre famille ; son cœur battait de reconnaissance en pensant à la joie qu’elle allait répandre dans cette maison de deuil et de misère ; c’était de quoi assurer l’existence entière de la mère et de ses quatre enfants. Et le changement subit, ce bonheur qu’elle allait donner, c’est au roi qu’elle le devrait ! G puissance divine ! rendre la vie aux mourants par le secours de celui qu’on aime, l’associer à tout le bien qu’on rêve, disposer de sa protection pour soulager la misère, consoler le malheur, n’est-ce pas imiter la Providence sur terre, et le Ciel pourrait-il voir un crime dans la source de tant de bienfaits !

Ainsi madame de la Tournelle perdait toute idée de résister au charme qui l’entraînait ; son esprit, fasciné par