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Le roi garda un moment le silence… jamais personne. n’avait encore osé lui parler ainsi… La surprise, le dépit d’être deviné et le ressentiment d’amour-propre que provoque toujours un reproche mérité, changèrent tout à coup l’expression de son visage ; son regard fier et scrutateur se fixa sur madame de la Tournelle, comme pour se rendre compte du sentiment qui lui dictait une vérité si sévère.

Mais, trop préoccupé de son idée pour en parler, il arriva sans transition à citer les noms de plusieurs officiers blessés pendant la retraite de Prague, celui du duc d’Agénois était du nombre ; madame de la Tournelle ne put l’entendre sans une vive émotion.

— Pardon, madame, de vous faire ainsi pâlir, dit le roi d’un ton amer. J’aurais dû commencer par vous dire que la blessure du duc d’Agénois n’était nullement dangereuse : tranquillisez-vous, elle lui vaudra sans doute quelques mois de congé qui lui donneront l’occasion de répondre à tout l’intérêt qu’il inspire.

En finissant ces mots, le roi quitta brusquement madame de la Tournelle, et vint se mettre à la table de jeu.

— Ainsi donc je m’abusais, pensa-t-elle, il devait me fuir à la première vérité !

Et tout le poids d’un avenir flétri retomba sur son cœur. Ces rêves de gloire, cette destinée royale élevée par ses sacrifices au rang <v ? plus renommés, elle les voyait s’évanouir avant d’avoir ébloui le monde ; et cet enchantement dé sa pensée, quelques mots avaient suffi pour le détruire ; car la nature du sentiment qu’elle portait au duc d’Agénois ne lui semblait pas devoir exciter la jalousie du roi. Pourtant il en était sincèrement jaloux, et madame de la Tournelle l’aurait deviné, si elle eût connu les chansons infâmes où l’on racontait ses prétendus amours avec le duc d’Agénois, chansons que ses ennemis trouvaient toujours moyen de faire parvenir à Louis XV.

Une injure de la part du roi, la crainte d’une infidélité de cœur n’auraient pas plongé madame de la Tournelle dans un accablement si profond, l’orgueil l’eût soutenue ; mais c’est bien plus que son bonheur personne ! dont elle perd l’espérance : elle déplore l’avenir de gloire et de prospérité qui échappe au roi qu’elle aime !

En la voyant ainsi triste, immobile, n’écoutant rien de ce