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prenait de telles impressions sur la cour et sur le roi, qu’elle se félicitait de vivre en dehors d’un séjour où il y avait tant à craindre ou à rougir. Car bien qu’elle suivit sa tante à Versailles quand son service l’y appelait, madame de la Tournelle ne sortait point de l’appartement qu’elle occupait chez la duchesse de Mazarin.

Encore émue par ses souvenirs d’enfance, madame de la Tournelle conservait à madame de Mailly cette sorte d’estime que les plus jeunes ont toujours pour la sœur que son âge rend presque leur seconde mère. Elle accusait le roi de tous les torts d’une séduction que madame de Mailly avait rendue trop facile, et s’obstinait à le regarder comme un monstre corrupteur de sa famille. Que de fois, en contemplant le portrait du roi suspendu aux lambris dorés du salon de Chilli, elle avait cherché dans l’ensemble de ses traits, si beaux, si nobles, dans ce regard si doux, si spirituel, quelque chose qui révélât l’atrocité des vices qu’elle lui supposait !

Elle ne l’avait point revu depuis le jour où elle avait été présentée à la cour. Alors son amour pour la reine le captivait si complètement, qu’il faisait à peine attention aux femmes qui l’entouraient. On prétend que sa passion conjugale eût été de nature à durer fort longtemps, si les rigueurs, et peut-être aussi les austérités de la reine ne l’eussent découragée. D’abord des raisons de santé la forcèrent à contrarier les désirs du jeune roi ; il chercha à s’en consoler par d’autres plaisirs : ceux de la table, fort à la mode à la cour du régent, lui parurent, ainsi qu’à son vieux précepteur, les plus innocents ; de là vint l’usage des soupers dans les petits appartements, et les inconvénients attachés aux excès de vin de Champagne.

On raconte qu’à la suite d’un de ces excès nocturnes, Louis XV eut une scène très-vive avec la reine, et qu’à dater de ce jour elle autorisa l’infidélité de son royal mari par des refus humiliants.

Ces récits plus ou moins scandaleux faisaient alors le fond de toutes les conversations ; et lorsque, par égard pour la tante et les sœurs des favorites, on craignait de s’exprimer clairement à ce sujet ; la duchesse de Mazarin ne manquait jamais à dire : « Parlez sans contrainte, nous les renions toutes deux : elles ne sont plus des nôtres : d’ail-