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Seule dans son château, n’y recevant que rarement les parents de son mari, quelques-unes de ses camarades, et le duc d’Agenois[1], dont elle redoutait l’amour pour elle presque autant qu’aurait pu le faire M. de la Tournelle lui-même, elle avait pour tout plaisir celui de correspondre avec ses sœurs ou les anciens amis de sa famille, tels que le maréchal de Noailles, le comte de Belle-Isle, le duc de Richelieu, M. de Chavigny et M. Duverney. Son père lui recommandait de ne pas se laisser oublier d’eux, dans l’intérêt de son mari, la protection de ces grands personnages pouvant lui être utile.

Sans doute sa carrière eût été brillante ; car les talents et la bravoure de M. de la Tournelle devaient le porter aux plus hauts grades ; mais sa santé ne lui permit pas d’y atteindre. Frappé, au retour de l’armée, d’une fièvre inflammatoire, il y succomba en moins de huit jours. Il laissa sa veuve avec peu de fortune ; car, mourant sans enfants, la sienne retournait à ses héritiers naturels.

Cette mort plongea madame de la Tournelle dans le chagrin que fait éprouver la perte d’un ami, d’un protecteur. Il avait si souvent déploré avec elle le déshonneur que ses deux sœurs, madame de Mailly et madame de Vintimille, jetaient sur sa famille, qu’elle tremblait de se voir comprise dans le mépris qu’on témoignait pour les deux favorites. Elle ne savait quel parti prendre, et laissait s’écouler son deuil dans la retraite, sans faire aucun projet, lorsqu’elle fut agréablement surprise par l’arrivée de sa sœur, la marquise de Flavacourt ; celle-ci venait lui apporter une invitation de la duchesse de Mazarin, leur tante, à laquelle il était impossible de ne pas se rendre ; car c’était un des actes de générosité dont l’usage faisait un devoir aux chefs des grandes familles, et auxquels nulle protégée ne pouvait se

  1. M. d’Agenois, fils du duc d’Aiguillon, fut fait duc après son fameux procès. La branche cadette de la maison de Richelieu demandait depuis plusieurs années au gouvernement de renouveler en sa faveur les lettres patentes du duché-pairie attachées à la terre d’Aiguillon. Les anciens ducs et pairs s’y opposaient et leur reprochaient de s’appeler Vignerot. La princesse de Conti, qui avait fort aimé M. d’Agenois, obtint du cardiml de Fleury que l’affaire fût portée au parlement, et la cour leur donna gain de cause.