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appelée dès lors mademoiselle de Montcravel. C’est ainsi que les amis ou alliés d’une grande Famille, dont la fortune n’était plus au niveau de son rang, se chargeaient de pourvoir à l’éducation et à l’établissement de cette noble famille, tant on attachait d’importance à ne la pas voir déroger.

À l’âge de dix ans, Marianne de Nesle fut mise au couvent, selon la coutume, qui ne permettait pas à une jeune personne de vivre ailleurs avant son mariage. Belle, spirituelle, vive, enjouée, elle devint bientôt le modèle et l’amour de ses compagnes : seulement, celles qui enviaient ses agréments, sa facilité à apprendre, lui reprochaient sa fierté, sa franchise. Il est certain qu’elle ne savait pas dissimuler son mépris pour la bassesse et l’intrigue, dont on fait l’essai au couvent avant de s’en servir dans le monde, et qu’elle se vengeait quelquefois d’une méchanceté par une moquerie : espèce de générosité qui fait plus d’ennemis qu’un ressentiment implacable.

Elle venait d’atteindre à sa douzième année, lorsqu’on lui apprit la mort de sa mère. Elle l’avait à peine connue. Son imagination la pleura plus que son cœur ; car sans avoir jamais joui de la tendresse de sa mère, cette tendresse pouvait se réveiller. Le malheur, la maladie, ne l’avaient point encore éprouvée ; elle était toujours là dans la pensée de Marianne ; c’était comme un port assuré dans les temps d’orage ; et puis es mots affreux : Elle n’a plus de mère, comme ils attristent une jeune âme !

Dès qu’elle fut en état d’être mariée, son père lui apprit qu’il lui avait trouvé un parti sortable, quoique fort au-dessous de celui auquel une demoiselle de Nesle pouvait prétendre. Il lui parla du marquis de la Tournelle : c’était un jeune homme bien élevé, d’une figure passable, mais d’une santé délicate que ses travaux militaires affaiblissaient encore. Sa fortune consistait en une belle terre en Bourgogne, où il fallait que sa femme se résignât à vivre toute l’année, et souvent seule ; car, étant colonel du régiment de Condé, il passait la plus grande partie de son temps en garnison ou à l’armée.

Mademoiselle de Nesle obéit, sans plaisir comme sans répugnance, aux désirs de son père. Son mariage, sa présentation à la cour, ne firent point événement dans sa vie, car son cœur et son orgueil n’y prirent aucune part.