rage ; mais, croyant de sa prudence d’agir sans délai contre le crédit futur de madame de la Tournelle, il passa le reste de la soirée à chercher les rimes d’une chanson grivoise dont le refrain en calembour apprendra le lendemain à tout Paris que le roi est à la Tournelle[1].
Madame de Flavacourt, le comte de Noailles, le marquis d’Hautefort, le duc d’Harcourt, le marquis de Croissy, le chevalier de Grille, enfin tous ceux qui tenaient à madame de la Tournelle par des liens d’amitié ou de parenté furent traités avec une préférence marquée par le roi.
— Vous voyez combien je tiens à plaire à vos amis, dit-il à madame de la Tournelle ; ne ferez-vous pas quelque chose pour rassurer les miens ? Voyez, ce pauvre Maurepas est le plus à plaindre des hommes depuis qu’il a eu le malheur de vous offenser ; ne lui adresserez-vous pas quelques paroles consolantes ?
— Moi, sire ? Jamais ! reprit madame de la Tournelle ; on pardonne une méchanceté ; mais une humiliation, non, ce serait la mériter.
Il y avait tant de fierté dans le ton de cette réponse, que le roi n’insista point. Il ajouta seulement :
— C’est trop d’honneur que de lui accorder tant de rancune ; il n’est que léger.
— C’est pour moi comme si Votre Majesté disait : Il n’est que féroce. La légèreté, c’est, en France, le petit nom qu’on donne à l’égoïsme, à la dureté, aux sentiments les plus barbares C’est par légèreté qu’on insulte les gens, qu’on trahit un ami, qu’on abandonne celle…
— Que vous êtes aimable ! dit le roi en voyant qu’elle n’osait achever sa phrase ; et que cette colère vous embellit ! Ce qui m’étonne, c’est que vous parliez ainsi de la légèreté des hommes, vous qui n’avez jamais dû en être victime.
— On n’a pas besoin de connaître un malheur pour le redouter.
— Non, vous ne le craignez pas ; ah ! si l’on pouvait si facilement se distraire de votre souvenir, je ne serais pas ici.
- ↑ Chambre du parlement, composée de juges qu’on prenait tour à tour dans la grande chambre et la chambre des enquêtes pour juger les affaires criminelles.