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chambre, auquel le roi ne parle jamais de ses affections, de ses projets, de son ambition ou de ses ressentiments, est, malgré cela, l’homme de tout le royaume qui les connaît le mieux.

Madame de la Tournelle était peut-être la seule qui ne partageât point la curiosité générale. Que lui importait une preuve ostensible de la préférence du roi ?

Cependant il se lève, cause quelques moments avec la princesse de Conti et madame de Toulouse ; on pense qu’il va offrir sa main à l’une des deux. Mais, se retournant presque aussitôt, il vient droit à madame de la Tournelle, en disant :

— Ne consentirez-vous pas, madame, âme servir de guide dans ces jardins enchantés que vous préférez à ceux de Versailles ?

Madame de la Tournelle s’inclina pour toute réponse, et, acceptant la main que le roi lui présentait, elle traversa avec lui le salon, sans oser lever les yeux, aussi embarrassée que doucement émue de son triomphe.

Toute la cour les suivit ; ce furent d’abord des exclamations sur ce printemps perpétuel, sur ces bosquets de fleurs à l’époque où toutes sont flétries, sur les plantes exotiques qui transportaient en idée dans tous les lieux du monde. Ce rappel de la plus belle des saisons à l’entrée de l’hiver semblait ranimer, dans tous les cœurs, les vagues émotions que les beaux jours font naître. Un miracle de luxe n’aurait point causé l’étonnement d’un souverain blasé sur toute les magnificences ; mais cette imitation parfaite de ce que la nature a de plus admirable, cette lumière fantastique, cette mélodie aérienne, cette réunion de tout ce que les arts, le bon goût, l’élégance, pouvaient offrir de plus séduisant, devaient agir sur l’imagination d’un roi jeune, spirituel et amoureux.

Exalté par tout ce que cette fête avait de romanesque, Louis XV oublia sa royauté, et ne pensa plus qu’à être un homme aimable. Tant qu’il fut entouré, il dit une foule de choses gracieuses ; mais, ayant payé son tribut de politesses aux gens qui se trouvaient là, il crut pouvoir adresser quelques mots à madame de la Tournelle. Alors M. Duverney, qui marchait à côté du roi, ralentit son pas, cédant à madame de la Tournelle l’honneur de conduire Sa Majesté ; chacun imita sa discrétion.