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une guerre loyale sans se douter qu’en suivant des routes différentes ils marchaient vers le même précipice, causaient ensemble avec l’espoir commun de se ramener réciproquement à leur opinion. Sorte d’illusion qui maintient l’urbanité dans les discussions et ne leur permet pas d’arriver à ce point d’éloquence où la vérité l’emporte sur l’intérêt personnel.

Depuis la chute du règne de la guillotine, le bourreau et la victime, se rencontrant sans cesse dans le même salon, forcés, par des considérations impérieuses, de se supporter, de se parler même, ils devaient nécessairement se créer un nouveau langage, de manières qui, sans manifester le juste ressentiment des uns et la haine des autres, ôtaient toute idée de conciliation, et donnaient à leurs discours la rudesse de l’indépendance et à leurs plaisanteries l’amertume de la satire.

Là devait se perdre ce désir mutuel de se plaire qui engageait autrefois le causeur à prodiguer toutes les richesses de son esprit pour le seul bonheur d’être écouté ; là devait expirer cette bienveillance intéressée qui encourage et double les facultés en tous genres.

Là devait finir ce marivaudage galant qui avait longtemps suffi aux amours de salon ; là devait s’évanouir cette gaieté sans sujet qui faisait l’envie des loustics allemands et de l’humour anglaise.

La gravité politique, la mélancolie shakspearienne s’emparèrent des jeunes esprits, et il en résulta une opposition entre les nouveaux goûts, les nouvelles mœurs et l’ancien caractère des Français, qui a duré assez longtemps pour mériter d’être constatée, et qui peut servir de transition à la peinture de nos mœurs présentes, si