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devons aussi vous adorer sans vous comprendre ?

— Pourquoi pas ? nous donnons assez souvent l’exemple d’un pareil culte.

— Cela n’excuse pas vos dédains pour notre esprit, et la peine que vous prenez à nous persuader que la nature l’a réduit au bonheur de vous amuser, sans pouvoir jamais atteindre à l’honneur de vous imiter, même dans la moindre de vos productions.

— Ah ! ce serait par trop injuste, reprit tout haut le commandeur, et ces messieurs me sont témoins qu’hier encore je vantais les jolis ouvrages de plusieurs femmes, et surtout les petits vers de madame de B… Ce n’est pas ma faute à moi si ces dames ne font pas de belles tragédies : je les vanterais d’aussi bon cœur.

— Cela n’est pas sûr, dit la comtesse.

— Et moi j’en réponds, dit le chevalier. Les succès littéraires des femmes ne peuvent être disputés que par des hommes médiocres. C’est la rivalité qui rend injuste, et plus encore le sentiment de son infériorité. Comment voulez-vous qu’un pédant ennuyeux pardonne à madame de La Fayette d’occuper une place dans toutes les bibliothèques, tandis que les misérables brochures qu’il enfante avec tant de peine, expirent en naissant ? Il n’appartient qu’aux gens d’un vrai mérite de savoir approuver le talent partout où il se trouve, et j’affirmerais bien que Racine ne médisait pas des vers de madame Deshoulières, malgré son injustice envers lui.