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gramme n’avait pas besoin d’accompagnement, et se mit à chanter, sans le secours du piano, des couplets dirigés contre un ministre nouvellement nommé : plusieurs femmes de la cour y étaient désignées de la manière la moins décente, et la malignité ne s’arrêtait même pas aux courtisans. Chacun parut enchanté de cette œuvre du démon, et la meilleure des satires de Boileau n’aurait pas excité plus d’enthousiasme. On combla l’auteur d’éloges ; ceux que lui adressa le chevalier furent les mieux tournés, les plus outrés et par conséquent les plus flatteurs. M. de Nangis seul ne rit point des couplets, et témoigna à sa femme le regret de les avoir laissé chanter chez lui ; mais la comtesse devinant sa pensée, lui répondit :

— Qu’il n’y avait rien à craindre du ressentiment des personnes attaquées dans cette chanson ; dans le fonds, ajouta-t-elle, il n’y a que le prince de maltraité, et vous savez sur ce point jusqu’où va son indulgence.

Madame de Nangis avait raison : à cette époque on risquait moins à faire une chanson contre le roi, qu’une épigramme sur un commis des finances.

De retour auprès de madame de Saverny, le chevalier se pencha vers elle pour lui dire à voix basse :

— Concevez-vous rien au caprice de madame de Nangis, de me faire chanter des pauvretés pareilles ?

— N’avez-vous pas dit que vous trouviez ces couplets charmants ?

— Oui, vraiment, je l’ai dit à l’auteur ; ne voulez-vous pas que je me fasse un ennemi de cet homme-là ?