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pouvait assurer le secret en rendant les trois lettres comme elle les avait reçues. Sa conscience accueillait cette idée ; avec une morale peu sévère, on se croit facilement innocent du mal dont on ne recueille pas le fruit. La comtesse se parait déjà à ses yeux du mérite de résister au mouvement d’une curiosité sans objet, lorsqu’un nouveau soupçon vint triompher de tous ses scrupules. Elle pensa que M. d’Émerange pouvait bien se servir d’une autre main que la sienne pour écrire l’adresse de ses lettres à madame de Saverny. C’était un moyen souvent employé pour tromper les regards des jaloux ; et madame de Nangis se rendait justice en supposant aux autres le désir d’échapper à son indiscrétion ; à force de supposer ce qu’elle espère, elle croit céder à la certitude de tout apprendre, et rompt le cachet… Bientôt une joie féroce étincelle dans ces yeux. Elle tient enfin l’instrument d’une vengeance sûre, qui va frapper du même coup l’ingrat qui la trahit, et la femme qu’on lui préfère. Munie de ce précieux dépôt, elle attend dans toute l’agitation d’une affreuse espérance le moment où le comte d’Émerange a promis de se rendre chez elle. Pour obtenir de lui cette promesse, il avait fallu employer la ruse, et lui cacher surtout ce qu’on avait appris de M. de Nangis. Ce soin important était le sujet des billets dont mademoiselle Cécile avait parlé à sa maîtresse, et auxquels le comte venait de répondre, en cédant avec peine aux instances de madame de Nangis.