coup et, sans mon chevalier, j’aurais bien pu, à
mon tour, me casser quelque chose ! Il me reçut
dans ses bras où je tombai sans mal ni douleur,
mais en faisant à la robe de batiste que je portais
pour la première fois un accroc effroyable ! À la
vue de ce désastre, je fondis en larmes ! Ma mère
n’était pas tendre pour tout ce qui touchait aux
dégâts de ma toilette, et je prévoyais une bonne
correction à mon retour à la maison. Mais mon
chevalier, pour me consoler, m’embrassa et me
promit de réparer le dommage. Il courut au château, rapporta du fil, des aiguilles et se mit bel et
bien en devoir de recoudre le fameux accroc. Je
me vois encore assise dans l’herbe les épaules
couvertes de l’habit de Jean qu’il m’avait arrangé
lui-même avec soin et j’entends encore sa voix
grave :
— Ne bouge pas, Paulette, surtout ne pleure plus ; dans un moment, il n’y paraîtra pas.
Et je ne faisais pas un mouvement ; et, lorsque Jean, avec mille précautions, m’eut rhabillée, je me rappelle mes transports de joie en constatant que la déchirure n’existait plus. Je couvris de baisers fous un de ses doigts qui saignait, tant il s’était piqué avec son aiguille ! Je suçais ces petites gouttelettes rouges en criant :
— Oh ! Jean ! Tu ne vas pas mourir, dis ! Je t’aime tant ! Je t’aime pour toute la vie et, pour la peine que tu es si bon, je serai ta femme ! Je n’aurai jamais d’autre mari que toi !
— Une belle récompense pour le pauvre garçon ! déclara en riant Mlle Gertrude. Et que répondait-il, le malheureux, à cette offre merveilleuse de ton inutile personne ?
— Je ne sais pas… je ne me souviens plus… Sans doute ce qu’il a répondu il y a deux ans ! répartit gaiement Paulette.
Thérèse, que le récit de son amie avait amusée vint à regarder le régisseur à cet instant ; elle fut frappée de sa pâleur et de son visage contracté. D’un geste elle le désigna à Mlle de Neufmoulins ; celle-ci se retourna vivement :
— Vous avez triste mine, monsieur Bernard ! dit-elle. Êtes-vous indisposé ?