Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
94
TANTE GERTRUDE

baissés, gardait un visage impénétrable ; on eût pu croire qu’il n’avait même pas entendu, que sa pensée, étrangère à ces scènes, errait bien loin…

Et pourtant, il n’en perdait pas un mot et il lui fallait toute sa force de caractère pour comprimer les battements précipités de son cœur, pour arrêter les paroles ardentes qui montaient à ses lèvres en flots tumultueux. Paulette ne s’en doutait guère. Tendre et câline comme une enfant, ne se laissant pas rebuter par la dureté de sa vieille parente, elle avait une façon à elle d’appuyer son beau visage sur l’épaule de Mlle de Neufmoulins, en murmurant d’une voix humble : « Ne grondez pas, tante Gertrude ; je ferai mieux une autre fois ! » qui aurait attendri un rocher.

Mais, la vieille châtelaine, insensible aux caresses comme aux prières, la rabrouait de plus belle. Dernièrement, elle lui avait refusé catégoriquement une nouvelle toilette pour l’hiver, et Thérèse, avec sa bonté habituelle, était, comme toujours, venue au secours de son amie. Elle avait trouvé dans la garde-robe de Paulette un ancien corsage qui, habilement transformé, pourrait encore faire très bonne figure, et c’est à ce travail que Mme Wanel mettait tous ses soins au moment où commence notre chapitre.

On était au mois de novembre ; une pluie fine et serrée tombait depuis plusieurs jours et, pour chasser l’humidité glaciale qui pénétrait dans les appartements, on avait allumé un grand feu dans la salle où se tenaient chaque après-midi la châtelaine ainsi que Paulette et Thérèse. Jean Bernard, qui avait fini son rapport quotidien, était venu aussi, sur l’invitation de Mlle Gertrude, prendre place auprès du foyer et lire les journaux apportés par le courrier.

Il avait interrompu sa lecture pour admirer la dextérité de Thérèse.

— Là ! ma petite, quand tu seras capable d’en faire autant, il aura encore coulé de l’eau sous le pont ! fit remarquer Mlle de Neufmoulins d’un ton sarcastique, tandis que sa demoiselle de compagnie tendait à Paulette le corsage en question.

Mlle Thérèse a réellement des doigts de fée,