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TANTE GERTRUDE

frayeurs de pensionnaire. L’autre jour encore, tenez, j’ai cru mourir de peur en voyant un lièvre traverser le chemin.

— Petite sotte ! répondait Mlle Gertrude, d’un air de pitié. Je n’ai jamais eu peur de rien, moi ! À quinze ans j’allais voir mon père, le colonel, au camp où il était obligé de rester parfois, et je rentrais souvent à la nuit après avoir fait quatre lieues dans la campagne, sans autre escorte que mon chien ! Et il eût fallu que quelqu’un me manquât de respect !

Paulette souriait en regardant d’un air malicieux le long corps efflanqué de la vieille fille, ses épaules osseuses, son visage dur, ses traits anguleux et la moustache qui ombrageait ses lèvres. La taille mince de la jeune femme, mignonne comme une enfant, ses traits fins et délicats, la douceur expressive de ses yeux bleus, faisaient encore ressortir davantage l’aspect gendarme de sa tante.

Mlle Gertrude, après avoir accablé sa nièce de reproches amers, avait cessé tout à coup par une sorte de parti pris la moindre allusion à tout ce qui avait rapport à la perte de sa fortune. Était-ce le résultat d’une vigoureuse sortie de son régisseur ? On aurait pu le croire.

Ce jour-là, elle s’était montrée plus dure, plus cruelle encore qu’à l’ordinaire, à tel point que Jean, indigné, avait quitté la pièce, ne voulant pas être plus longtemps témoin de l’humiliation infligée à la jeune femme.

Le soir, la conversation roula, comme d’habitude, sur la politique, puis sur la guerre ; Jean, dont la froideur glaciale n’avait pas échappé à la vieille fille, la laissait causer avec Thérèse et le curé de l’endroit qui venait dîner trois fois par semaine au château. Mme Wanel, dans ces conditions présentes, était repartie dans l’après-midi.

— Je ne connais rien de plus affreux que la guerre, déclara Mlle Gertrude. Obliger ainsi des hommes qui n’ont aucun motif de s’en vouloir à s’entre-tuer pour le bon plaisir de quelques drôles dont l’ambition seule fait couler des flots de sang ! Jamais les femmes n’auraient inventé cela ! Il faut être des monstres comme vous autres, messieurs,