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TANTE GERTRUDE

La jeune femme connut alors toutes les hontes de ces heures de ruine. Elle vit vendre ce château, ces meubles, ces superbes bibelots, merveilles d’art et de goût, ces tableaux, tout ce raffinement du luxe moderne qui lui avait été si cher ! Il lui fallut se défaire à vil prix de ces bijoux qu’elle aimait tant.

— Pauvre M. Wanel, murmura-t-elle en admirant une dernière fois la superbe rivière qu’il avait été si fier de lui offrir la veille de son mariage, heureusement qu’il n’était plus là ! Il serait si désolé de voir partir ce beau collier.

Quand tout fut liquidé, il lui resta à peu près trois mille francs de rente.

— Ce que me coûtait une de mes toilettes de bal ! remarqua-t-elle avec un sourire triste à Mlle de Neufmoulins.

— Ma petite, répondit celle-ci, c’est ce que j’avais jusqu’au jour où j’ai hérité de mon frère ; tu feras comme moi, tu apprendras à vivre.

— Oui, mais, ma tante, vous aviez encore une maison, moi je n’en ai même plus, fit observer Paulette d’un air pensif…

— Qu’à cela ne tienne, tu peux prendre celle que j’avais ! je n’ai jamais voulu la louer aux locataires qui se sont présentés, leurs vilaines têtes me déplaisaient trop. Tu n’as qu’à t’y installer, elle est encore toute meublée.

Et Paulette, résignée, était allée occuper la vieille maison étroite et basse située dans le quartier le plus triste d’Ailly.

Quant à sa tante, elle paraissait exulter, et, à en juger par sa conduite, ses manières, ses paroles, on aurait pu croire que la ruine de la jeune femme lui causait une véritable satisfaction.

Jean Bernard, indigné par cet excès d’indifférence révoltante de la vieille demoiselle, ne cessait d’en parler à Thérèse lorsqu’il se trouvait seul avec elle. Celle-ci, de son côté, n’en revenait pas non plus.

— C’est incompréhensible ! disait-elle, et pourtant je suis sûre, absolument sûre qu’elle aime sa nièce !

Le régisseur haussait les épaules d’un air incrédule.