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TANTE GERTRUDE

Il n’en était pas moins aimé et populaire parmi tous, grands et petits. Savait-il un enfant malade, il s’arrêtait devant la chaumière et le visitait chaque jour, donnant un conseil utile à l’occasion, apportant un remède, une petite douceur. Aussi le nom de Jean Bernard était bien connu dans le pays, et le jeune régisseur jouissait d’un réel prestige.

Madeleine et Gontran étaient, aussi, grands amis avec les paysans, et lorsque Jean leur proposa, le lendemain de leur arrivée, de l’accompagner dans sa tournée habituelle, ils ne se firent pas prier et grimpèrent lestement dans la voiture.

Ils arrivèrent bientôt à un immense champ de blé où travaillait une vraie troupe de moissonneurs.

Jean, qui examinait tout d’un regard rapide et circulaire, pendant que Madeleine courait avec Gontran pour voir finir une meule gigantesque, fronça tout à coup les sourcils et, appelant un des surveillants :

— Mathieu, dit-il d’une voix brève, je vous avais formellement défendu de laisser des hommes, et surtout des étrangers, glaner ici ; comment se fait-il que j’en aperçois trois là-bas ?

— Monsieur Bernard, répondit le paysan, un peu embarrassé, j’ai déjà essayé plusieurs fois de les renvoyer, mais je n’ai pas pu leur faire entendre raison.

— C’est bien, dit Jean, j’y vais.

Et le régisseur se dirigea vivement vers trois solides gaillards, au visage basané, aux traits vulgaires.

— Qui vous a donné le droit de glaner ici ? interrogea-t-il lorsqu’il fut auprès d’eux.

Le plus âgé se tourna vers Jean d’un air insolent ; mais, devant le regard froid et l’attitude énergique du jeune homme, il hésita, un peu interdit.

— N’avez-vous pas honte, continua celui-ci, vous, des hommes robustes, de vous arroger ainsi un privilège réservé aux veuves et aux orphelins ?

— Nous cherchons de l’ouvrage, balbutia l’un des trois.