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TANTE GERTRUDE

oiseau-là ! Impossible de savoir où il niche ! Oh ! ce n’est rien ! Lorsqu’il aura vent de la bonne aubaine, il ne sera pas longtemps à arriver ! Ne t’ennuie pas, ma nièce ! le godelureau ne tardera pas à venir te faire sa cour pour gagner ses millions !

Cette fois, les grands yeux de pervenche de la belle Paule étincelèrent, tandis qu’elle refermait d’un mouvement nerveux l’éventail de plumes.

— Ma tante, dit-elle d’une voix brève, je vous serai très obligée une fois pour toutes de cesser ces plaisanteries déplacées. Il est probable, il est même certain que je me remarierai avant peu de temps, mais ce ne sera pas avec ce comte de Ponthieu, vous le savez aussi bien que moi. Grâce à la générosité de M. Wanel, je n’ai pas besoin de la fortune de M. de Neufmoulins, mon oncle, et je vais épouser le lieutenant de Lanchères. Je crois, certes, que cette fois vous ne trouverez rien à redire à cette union ! M. de Lanchères est riche et de bonne famille.

— Un joli monsieur, ma foi ! un étourneau ! Ah ! vous serez bien assortis ! La vue d’un muscadin pareil me met hors de moi ! Monsieur porte un corset ! Monsieur se parfume ; on peut le sentir à un kilomètre ! Monsieur se plante dans l’œil un morceau de verre qui le fait grimacer d’une façon ridicule ! Et on appelle ça un homme ! et un officier encore ! Vertudieu ! comme disait le colonel de Neufmoulins, dans quel temps vivons-nous ?

Et Mlle Gertrude, redressant sa longue taille, agita nerveusement ses bras anguleux, tandis que ses lèvres minces ombragées d’une moustache noire se plissaient d’un air méprisant.

— Oh ! ces jeunes gens de nos jours ! continua-t-elle en se levant et en arpentant de son pas vif et saccadé le rond-point où elle se trouvait avec sa nièce, ils me font pitié ! C’est moi qui n’aurais jamais voulu épouser une de ces femmelettes ! Où allons-nous, mon Dieu, où allons-nous ?

En ce moment, la petite bonne qui composait toute la domesticité de Mlle Gertrude, parut au bout de l’allée.

— Hein ? Quoi ? Qu’y a-t-il ? Qu’est-ce que tu veux encore, toi ? gronda sa maîtresse.