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TANTE GERTRUDE

peut faire son paquet ! je la chasse comme je vous chasse vous-même ! Libre à vous de vous charger d’elle.

— C’est ce que je ferai, mademoiselle ! déclara fièrement le jeune homme. Je demanderai à genoux à la noble enfant d’accepter le peu que j’ai à lui offrir et de m’accorder le droit de la protéger dans la vie.

— Un beau protecteur qu’elle aura là, ma foi ! Un intendant ! Un valet ! Moins que rien ! Un Jean Bernard ! Une espèce d’enfant trouvé, j’imagine !…

Un frémissement de colère faisait trembler le jeune homme : il était livide et ses yeux étincelaient.

— Je pars, mademoiselle de Neufmoulins ! Je ne suis plus à votre service ! — Un accent de dédain inexprimable vibrait dans sa voix dure et métallique. — Avant de m’éloigner, laissez-moi vous dire que si votre nièce doit être bien pauvre, elle aura du moins, en m’épousant, un nom plus beau et plus noble que celui qu’elle quittera… Il n’y a plus de Jean Bernard, ici !… Je suis le comte de Ponthieu, mademoiselle !…

— Ah ! enfin ! enfin ! Mais dites-le donc ! dites-le donc ! depuis que je l’attends, cet aveu !

La foudre fût tombée aux pieds de Jean qu’il n’eût pas été plus stupéfait qu’en entendant ces paroles… Et ce fut bien autre chose lorsqu’il vit l’expression de profonde tendresse, de ravissement qui transfigurait le visage d’ordinaire si laid et si dur, qui l’illuminait au point de le rendre presque beau.

— Mon enfant, mon pauvre Jean !…

Sa voix avait une douceur infinie, des accents d’une tendresse toute maternelle, tandis que ses bras s’ouvraient pour recevoir le jeune homme qui, éperdu, ne comprenant pas, mais devinant qu’il était en face d’un mystère d’amour, se laissa tomber aux pieds de Mlle Gertrude…

Ce fut une heure d’émotion inoubliable que celle des confidences de la vieille châtelaine… Conduit par elle dans la chambre princière, meublée avec tant d’amour par son oncle, Jean ne pouvait détacher ses yeux ravis du buste de la