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TANTE GERTRUDE

blierai jamais voire bonté pour moi… Jusqu’à mon dernier soupir, mon cœur ne battra que pour vous… Pardonnez-moi de n’avoir pas eu la force de vous cacher mon amour, de m’être trahi… Cet amour est si pur que je n’ai pas à en rougir… Plus tard, quand vous occuperez le rang qui vous convient, si vous vous souvenez parfois au… régisseur qui vous a aimée, n’ayez pas de trouble… n’ayez jamais honte des sentiments dont vous m’avez honoré… j’en étais digne, Paule… Si je n’écoutais que mon cœur, j’accepterais ce bonheur ineffable qui s’offre à moi… je vous demanderais de partir… Mais ce serait peu vous aimer que vous condamner à une existence de misère et de privations… Mon amour est plus grand que cela, il veut votre bonheur par-dessus tout !… Comprepez-vous bien ce qui me fait vous parler ainsi ?

Paule se dégagea soudain, et forçant le jeune homme à la regarder en face :

— Jean, interrogea-t-elle frémissante, si je vous disais que je n’accepte pas votre sacrifice ? Que je préfère n’importe quoi à la séparation… à la perspective de vous quitter ?

— Je vous supplierais à genoux, comme je le fais en ce moment, de m’écouter, de ne pas me laisser commettre une lâcheté, en profitant de vos sentiments généreux…

Le jeune homme avait baissé la tête, de sorte que Paule ne pouvait voir l’expression désespérée de ses prunelles sombres.

— Eh bien ! Jean, je n’accepte pas votre décision ! Où vous irez, j’irai ; je veux lutter avec vous, souffrir avec vous ! Toutes les épreuves qui vous attendent, et dont notre amour est la cause, j’en réclame ma part !… Laissez-moi vous suivre, être pour vous une compagne dévouée, et fidèle…

Paule était idéalement belle ; ses yeux brillaient d’un éclat éblouissant, tout son visage resplendissait d’amour, tandis qu’elle attendait, anxieuse, un mot, un geste de Jean.

Un silence se fit… une expression d’atroce souffrance passa sur les traits du régisseur… Mais, poussant un profond soupir, il répondit d’une voix étranglée :