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TANTE GERTRUDE

CHAPITRE XIII


Mlle Gertrude de Neufmoulins, selon son habitude quotidienne, venait de parcourir de grand matin les communs du château, de la cave au grenier, gourmandant une bonne pour une pièce trouvée en désordre, en bousculant une autre pour le gaspillage des pommes de terre, criant, gesticulant sans relâche ; elle commençait à s’impatienter de ne voir paraître nulle part son souffre-douleur Thérèse, qu’elle appelait d’une voix de stentor.

— Ah ! enfin te voilà ! s’écria-t-elle en apercevant la jeune orpheline à l’entrée du vestibule. Mais d’où reviens-tu à pareille heure, avec ton chapeau sur la tête ? Est-ce que tu ne t’es pas couchée ?

— Je rentre de l’Abbaye, mademoiselle, où vous m’aviez recommandé de courir aussitôt levée.

— Ah ! oui, c’est vrai, j’avais oublié. Eh bien, comment va-t-il, ce sire de la Triste-Figure ?

— Zoé m’a dit qu’il était sorti, mais qu’il paraissait encore « plus pire » qu’hier, tant il avait mauvaise mine.

— Bah ! c’est une vieille sotte ! Comme toutes ses pareilles, elle fait des histoires à propos de rien, et il ne faut jamais croire que la moitié de ce qu’elle dit. Si on l’avait écoutée hier soir, on aurait pu envoyer chercher le médecin et le curé pour cet intendant de malheur, et aujourd’hui voilà notre homme levé dès l’aube, qui court déjà la pretentaine ! Quand je pense que je t’ai fait sortir du lit plus tôt que d’habitude à cause de cet oiseau-là, j’en suis vexée ! Je suis toujours trop bonne, trop bête même, je devrais dire. Bien ! va te déshabiller maintenant et mets-toi à ton linge ; moi, je vais vérifier les livres des fournisseurs, car je ne m’y fie guère : ils sont tous au plus voleur !

Mais Mlle Gertrude, fort préoccupée ce matin-