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TANTE GERTRUDE

en temps pour ouvrir le tiroir, tailler un crayon, mais sans regarder jamais de son côté.

— Monsieur Jean ? demanda-t-elle tout à coup, d’une voix hésitante.

Cette fois le régisseur leva les yeux sur elle et sourit d’un air interrogateur.

— Monsieur mon ami, continua Paulette de ce ton câlin qui bouleversait le jeune homme, j’ai besoin de votre avis sur une grave question. Un monsieur riche, de bonne famille, de réputation honorable, très bien de sa personne, me fait l’honneur de solliciter ma main… Que conseille monsieur Jean Bernard à son amie ? Doit-elle accepter ?

Le régisseur était devenu très pâle, son sourire avait disparu et son visage avait repris l’expression grave, un peu sévère, qui lui était habituelle. Son regard, posé sur sa compagne qui l’examinait d’un air ingénu, s’était fait soudain sombre et préoccupé.

— Mon Dieu, madame, murmura-t-il après un moment d’hésitation — et on eût dit que les mots avaient peine à sortir de sa gorge serrée — le sujet est bien délicat. Vous seule pouvez être bon juge dans une question aussi importante. Si vous… aimez ce monsieur et qu’il vous offre toute garantie de bonheur… il n’y a pas à hésiter.

— L’aimer ? mais je ne le connais pas ! répondit Paulette en riant.

— Alors — et le ton de Jean Bernard était si amer, si dédaigneux, que Mme Wanel tressaillit, redevenant subitement sérieuse — alors, pourquoi penser à l’épouser ?

Et un étonnement pénible se lisait dans les yeux noirs qui semblaient vouloir plonger jusqu’au fond de l’âme de Paulette.

— Mais croyez-vous donc que l’amour soit nécessaire pour un mariage ? balbutia-t-elle, tandis qu’elle sentait une timidité étrange l’envahir tout à coup devant le regard scrutateur de Jean Bernard.

— Oui, j’ai encore cette naïveté.

Oh ! comme le ton du régisseur était méprisant !

— Peut-être de votre côté, madame, n’y voyez-