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TANTE GERTRUDE

vous regarder et nous n’en finirions pas d’allumer nos bougies. Vous nous avez déjà tellement éblouis que nous avons failli perdre l’équilibre !

La plaisanterie était bien innocente ; le ton dont elle était faite bien affectueux, pourquoi la jeune femme s’en trouva-t-elle froissée au point d’y répondre par une parole sèche ?

Elle-même n’aurait pu le dire. Depuis le matin, elle souffrait à crier ! Elle éprouvait un besoin impérieux de blesser Thérèse, de l’humilier, de l’accabler de ses dédains ! Dans la franche cordialité de l’orpheline à l’égard du régisseur, elle ne voyait qu’une coquetterie éhontée ; la simplicité avec laquelle elle réclamait son aide pour accrocher une guirlande de feuillage ou soulever un pot de fleurs lui paraissait de l’effronterie. Thérèse ne se doutant pas des sentiments de jalousie qui s’étaient glissés dans le cœur de son amie, s’abandonnait innocemment à la joie de cette journée de fête ; elle s’étonnait bien, par moment, des paroles brèves de Paule, de son regard mauvais, mais, toujours bonne et indulgente, elle mettait ce mouvement d’humeur sur le compte des nerfs ; loin d’en vouloir à la jeune femme, elle redoublait de douceurs, d’attentions à son égard.

Elle n’avait pas été la seule à s’apercevoir de l’attitude étrange de Mme Wanel ; Jean Bernard, lui aussi, en avait été frappé.

L’illumination était enfin terminée ; les jeunes gens, descendus de leur échelle, s’extasiaient d’admiration devant l’effet prodigieux obtenu par ces milliers de bougies. Une lutte amicale s’engagea entre Thérèse et Jean, celui-ci voulant à tout prix empêcher l’orpheline de se charger de l’échelle et l’autre n’y voulant pas consentir.

— Non, je vous en prie, monsieur Bernard, laissez-moi la reporter ; vous êtes si beau, si élégant, vous vous salirez ! voyez ! moi je n’ai rien à craindre.

— Jamais je ne permettrai à une femme de se charger d’un tel fardeau, répondait gaiement le régisseur. Obéissez, mademoiselle Thérèse !

Le sourire du jeune homme se faisait de plus en plus aimable, tandis qu’il essayait de parler d’un ton d’autorité.