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nous. » Il avait coutume de dire : « Ma mère était un ange à qui Dieu avait prêté un corps ; mon bonheur était de deviner ce qu’elle désirait de moi, et j’étais dans ses mains autant que la plus jeune de mes sœurs. » Le caractère de l’homme perçait déjà dans l’enfant : l’amour passionné du devoir, le sentiment de la soumission sous sa forme la plus généreuse, la soumission affectueuse du fils et non l’assujettissement craintif de l’esclave. M. de Maistre transporta à l’Église, notre mère selon la grâce, cette tendre affection qu’il avait eue pour sa mère selon la nature, et, dans tous ses rapports avec les pouvoirs légitimes, on retrouve la trace de cette heureuse alliance : un esprit libre, réglé par un cœur soumis. C’est avec cette nature excellente, fécondée par une éducation forte et une instruction profonde, qu’il entra dans la société du dix-huitième siècle, qui marchait vers des précipices que des symptômes non équivoques révélaient déjà aux esprits clairvoyants. Né en 1754, le comte de Maistre avait trente ans lorsqu’il s’écriait dans un discours qu’il prononça en 1784, au nom du ministère public, à la séance annuelle de la rentrée du sénat : « Le siècle se distingue par un esprit destructeur qui n’a rien épargné : lois, coutumes, institutions politiques, il a tout attaqué, tout ébranlé, et le ravage s’étendra jusqu’à des bornes qu’on n’aperçoit point encore. » Ici se manifestait déjà ce don de clairvoyance que Joseph de Maistre devait pousser si loin, qu’il est devenu un des caractères distinctifs de son génie. La révolution française ne le surprit