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aussi ses malheurs, » il y a là plus d’un pas fait pour franchir l’espace étroit qui sépare le sublime du ridicule. Cette haine de l’autorité politique et de l’autorité religieuse qui fut un titre pour les chansons de M. Béranger auprès d’un grand nombre de ses contemporains, placés sous l’empire des mêmes préjugés, paraîtra dans cinquante ans une monomanie dangereuse. Sa philosophie épicurienne, où le plaisir est érigé en vertu, et où le sensualisme des mœurs se mêle à l’orgueil du stoïcisme, n’obtiendra pas plus de succès, et ses odes sur le Champ d’asile, cette piperie inventée pour dérober les larmes et les écus des dupes politiques de cette époque, fera sourire plus de lecteurs qu’elle n’en fit pleurer. Ses chants même sur la Grèce nouvelle, héritière un peu problématique de la Grèce ancienne, paraîtront bien guindés, bien solennels et bien prétentieux. Il faut ajouter, aux causes qui empêcheront la plupart des poésies sérieuses de M. de Béranger d’avoir un succès à long terme, les sacrifices littéraires qu’il a été obligé de faire au refrain. Le refrain a été certainement une des causes principales de la vogue de ses chansons. Il leur a donné des ailes qui les ont fait voler de bouche en bouche, et l’on comprend combien des vers gagnent à pouvoir devenir l’expression collective des sentiments de toute une réunion d’hommes, qui s’associent par le refrain répété en chœur à la pensée du poëte, combien ils perdent à être récités solitairement par une seule voix devant des auditeurs muets. C’est la différence du drame à l’épopée. Mais,