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gaiement impie, une agonie écrite en éclats de rire ; tout est traité en caricature, la mort comme le reste ; mais c’est le fond de la même idée. Quoique joufflu comme une pomme, le héros jovial de M. Béranger porte la tête tout aussi orgueilleusement que le sage d’Horace. C’est le moi humain arrivé au dernier degré de vanité, se suffisant à lui-même, enivré de sa force, plus sage à lui seul que toute la société, toute l’humanité ; mais c’est le moi humain ricaneur, au lieu du moi humain déclamateur ; c’est le moi humain expansif, jovial, vivant de la vie pratique au lieu de vivre d’une vie de théâtre, riant au lieu de raisonner, et grisant la goutte qui l’accable au lieu de lui crier d’un ton piteusement solennel : Douleur, tu n’es point un mal !

C’est sous cette quadruple forme que Béranger, grave avec les gens sérieux, gai avec les rieurs, poursuivit, sans se laisser un moment détourner de son œuvre, la guerre qu’il avait déclarée à la restauration. Napoléon, Diogène, Canaris, Frétillon, Lafayette, Roger Bontemps, les missionnaires, la vivandière, Tibère, les gueux, la Déesse de la liberté, le vieux sergent, la Faridondaine, le Champ d’asile, tous les sujets, tous les tons furent employés, selon l’inspiration du poëte et l’à-propos des circonstances. L’appel à la révolte ne cessa pas de retentir dans ses chansons pendant dix-huit ans : révolte du paysan contre son curé, de l’accusé contre son juge, de l’écolier contre son maître, du soldat contre son officier,