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ont jeté la pudeur par-dessus le bord, comme une marchandise qui gêne la marche du navire. Il y a un type viril analogue qui revient sans cesse dans les chansons de Béranger, mais qui ne se trouve nulle part plus complètement dessiné que dans le Petit homme gris. Toute la philosophie de Béranger, car il faut bien que, pour faire quelque chose de leur philosophie, les chansonniers la mettent en refrains, se trouve, instinctive ou raisonnée, dans cette chanson. Le Petit homme gris est en guerre avec tout le monde. C’est l’individu plus fort que tout ce qui l’entoure ; c’est un stoïcien, mais un stoïcien raccommodé avec Épicure. C’est le juste d’Horace, dont nous parlions tout à l’heure, mais non plus, comme tout à l’heure, le juste d’Horace entre deux vins ; l’orgie est à son terme maintenant, et le juste est bien près de tomber sous la table. On dirait que Béranger a saisi l’ode stoïcienne du poète latin, et l’a trempée dans le vin de Champagne pour l’égayer. Tout a pris un caractère burlesque. Les dangers ont perdu leur grandiose. Ce sont les ennuis de la vie réelle, les créanciers, les huissiers, au lieu du monarque au visage menaçant ; le froid de décembre devant lequel le héros grotesque de ce petit poëme, souffle dans ses doigts, faute de bois, au lieu de l’Auster, cet impétueux dominateur de l’Adriatique, aux ondes profondément troublées. Ce n’est plus la main foudroyante de Jupiter qui tonne, le monde qui s’écroule et le front impassible du philosophe atteint sans pâlir ces débris ; c’est un lit délabré, un moribond