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mouvement général des idées de son temps en ajoutant à la grandeur naturelle de Napoléon cette grandeur vague et surhumaine qui tient de l’épopée plus que de l’histoire. Mais le cachet particulier de cette Messénienne, c’est l’empreinte du libéralisme de l’époque, le culte de la loi, la religion de la charte, sentiments légitimes en 1825, quoique exagérés par l’esprit de parti, mais transportés, par un anachronisme poétique, à un temps où ces idées n’étaient point applicables. Que viennent dire les trois batailles sœurs à Napoléon endormi sous sa tente ? Toutes trois viennent lui reprocher d’avoir violé la loi, d’avoir détrôné la liberté[1]. Or, ceux qui se rappellent l’histoire de ce temps savent que c’était une singulière légalité que celle du Directoire, élu, épuré, renouvelé par la violence, l’intrigue ou l’arbitraire, qui conspirait contre lui-même et contre la majorité de l’Assemblée législative, se mutilait et se recomplétait en ne consultant d’autre loi que la force. Depuis le coup d’État du 18 fructidor, la vérité et la sincérité avaient entièrement disparu des élections, et l’on gouvernait par des coups de dictature. Quant à la liberté dont Napoléon était fils, s’il n’avait jamais détrôné que celle-là, aucun reproche ne pèserait sur sa mémoire ; car cette prétendue liberté, hypocritement

  1. Tu régnerais encor si tu l’avais voulu.
    Fils de la liberté, tu détrônas ta mère ;
    Armé contre ses droits, d’un pouvoir éphémère
    Tu croyais l’accabler, tu l’avais résolu ;
    Mais le tombeau creusé pour elle
    Dévore, tôt ou tard, le monarque absolu.
    Un tyran tombe ou meurt ; seule elle est immortelle.