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roche grisâtre, le front dans mes mains, écoutant avec un sentiment qui n’a pas de nom le souffle aigu et plaintif de l’hiver, ou le roulis des lourds nuages qui se brisaient sur les angles de la montagne, ou la voix aérienne de l’alouette que le vent emportait toute chantante dans son tourbillon, comme ma pensée, plus forte que moi, emportait mon âme. Ces impressions étaient-elles joie ou tristesse ? Je ne pourrais le dire. Elles participaient de tous les sentiments à la fois. C’était de l’amour et de la religion, des pressentiments de la vie future, délicieux et tristes comme elle, des extases et des découragements, des horizons de lumière et des abîmes de ténèbres, de la joie et des larmes, de l’avenir et du désespoir. C’était la nature parlant par ses mille voix au cœur encore vierge de l’homme ; mais, enfin, c’était de la poésie. Cette poésie, j’essayais quelquefois de l’exprimer dans des vers ; mais ces vers, je n’avais personne à qui les faire entendre ; je me les lisais quelques jours à moi-même, je trouvais avec étonnement, avec douleur, qu’ils ne ressemblaient pas à tous ceux que je lisais, dans les recueils ou dans les volumes du jour. Je me disais : On ne voudra pas les lire ; ils paraîtront étranges, bizarres, insensés ; et je les brûlais à peine écrits. J’ai anéanti ainsi des volumes de cette première et vague poésie du cœur, et j’ai bien fait ; car, à cette époque, ils seraient éclos dans le ridicule et morts dans le mépris de tout ce qu’on appelait la littérature. Ce que j’ai écrit depuis ne valait pas mieux ; mais le temps avait